Le 23 septembre dernier, l’autorité des marchés financiers français (AMF) émettait une mise en garde contre la société privée Global Metal Broker. Cette firme propose aux investisseurs d’acheter des terres rares, de les stocker puis de les revendre au bout de trois ans minimum. L’AMF reproche en particulier à la compagnie le manque de transparence sur ses activités et surtout l’absence de communication concernant les risques encourus, sur un marché où il est difficile d’établir des projections. Mais que sont vraiment ces terres rares et pourquoi suscitent-elles autant d’intérêt ?
Dysprosium, terbium, néodyme,… Autant de termes qui ne vous disent peut-être rien mais qui font partie des composants d’appareils ou d’objets familiers : téléphones intelligents, éoliennes, lentilles de contact ou encore batteries de voitures électriques. Au nombre de dix-sept, les éléments appelés communément terres rares (rare earth elements ou REE en anglais) sont un groupe de métaux aux propriétés chimiques semblables. Ils font partie de la liste de minerais stratégiques des États-Unis, de la Chine, de la Corée, du Japon et de l’Union Européenne.
Une rareté toute relative de la ressource
L’appellation « terre rare » provient de la difficulté de séparer les minerais de l’ensemble dont ils font partie (séparation par échange d’ions), qui contient notamment des métaux radioactifs tels que le thorium et l’uranium. Les terres rares ne feront ainsi l’objet d’une extraction industrielle qu’à partir des années 1940. Même si la ressource est répartie inégalement sur la planète, elle n’en reste pas moins abondante, en particulier dans les couches géologiques en profondeur. Néanmoins, leur extraction est limitée par des coûts économiques plus élevés que pour des minerais classiques et par un coût environnemental particulièrement sévère (pollution des sols, atteinte à la santé publique) avec les procédés actuels.
Structure du marché : le monopole chinois
Tout comme le lithium (voir article sur le lithium), l’utilisation de la ressource se décompose en plusieurs phases : la prospection ou exploration, l’exploitation, la transformation et la fabrication industrielle. En plus des coûts élevés d’extraction, il faut compter sur des coûts de raffinage importants en phase transformation.
Le secteur des mines constitue un risque important pour les investisseurs. En effet, lors de la phase exploration, il faut parfois de nombreux forages avant de trouver une réserve de ressource suffisamment concentrée en minerais pour que l’extraction soit économiquement viable. Cette viabilité économique dépend du prix des métaux sur le marché et en phase exploitation, une baisse des prix peut faire qu’il ne soit plus rentable d’exploiter une mine. Le marché est ainsi structuré en firmes à petite capitalisation spécialisées dans l’exploration (minières junior), en entreprises n’exploitant qu’un faible nombre de mines (minières qui sont parvenues à récolter suffisamment de fonds pour financer les installations d’exploitation) et en compagnies minières disposant des fonds et de l’expertise nécessaires pour explorer et exploiter un ou plusieurs types de ressources. En outre, la phase transformation peut être internalisée ou être effectuée par des compagnies spécialisées sous forme de partenariat.
En 2014, la production mondiale était estimée à 130 kt par l’USGS et à 84 % chinoise, soit un quasi-monopole. La mine de Bayan Obo, en Mongolie Intérieure, représente 55 % de la production chinoise suivie par les mines du Sichuan (35%) et par l’extraction des argiles ionisées (10%). Seules deux mines sont en exploitation en dehors de la Chine : Mountain Pass aux Etats-Unis exploitée par MolyCorp (non cotée car actuellement en restructuration de dettes) et Mount Weld en Australie gérée par Lynas (ASX : LYC). Les principaux producteurs, en excluant la Chine, sont les Etats-Unis (6%), l’Australie (4%), l’Inde (3%) et la Russie (2%). De 2006 à 2011, la production mondiale n’a cessé d’augmenter jusqu’à atteindre 133 kt et a ensuite connu un déclin.
Figure 1 : Etat des projets de mines de terres rares (Source : Les Echos, 2013)
Les terres rares sont utilisées dans des secteurs stratégiques comme la haute technologie, l’industrie de la défense et les technologies « vertes », autrement dit les industries de pointe. Ainsi, en 2014, les terres rares étaient principalement utilisées dans la catalyse (60%). La Chine, les Etats-Unis, le Japon et l’Union Européenne constituent les principaux consommateurs de terres rares.
Figure 2 : Répartition des terres rares par domaine d’application en 2014
Actuellement, l’USGS estime les réserves à 130 Mt, principalement en Chine (44%), au Brésil (17%), en Australie (3%) et en Russie. Néanmoins, en juillet 2011, des scientifiques de l’université de Tokyo affirment avoir découvert des réserves 20 à 30 fois plus concentrées en terres rares que celles de Chine, réestimant l’état des réserves à 100 Gt. En 2012, plusieurs sources indiquent que la Corée du Nord pourrait détenir près de 216 Mt d’oxydes de terres rares, ce qui bouleverserait les équilibres géopolitiques régionaux.
Les entreprises dans le secteur sont peu nombreuses. Au niveau américain, la plupart des firmes d’exploration sont canadiennes : Quest Rare Minerals (TSX : QRM), Matamec Explorations (TSX.V : MAT) ou encore Commerce Ressources (TSX.V : CCE). En ce qui concerne les compagnies minières d’extraction, les plus importantes firmes canadiennes sont Avalon Rare Metals (TSX : AVL), Iamgold Corp (TSX : IMG), Rare Elements Resources (TSX : RES), Ressources Géomega (TSX.V : GMA) et Great Western Minerals Group (TSX.V : DWG). Au niveau chinois, on ne compte qu’une dizaine de compagnies suite à la restructuration de l’industrie par le gouvernement chinois : Inner Mongolia Baotou Steel Rare-Earth Group, pour ne citer que la plus importante. Si les activités des firmes citées précédemment ne concernent généralement que l’exploitation ou l’exploration-extraction, il existe des firmes qui contrôlent l’intégralité de la chaîne de valeur comme Ganzhou Rare Earth Group.
Enfin, il faut savoir que les prix des terres rares se négocient sur le marché, c’est-à-dire sous forme de contrats entre deux entités. Néanmoins, la Chine a lancé en 2012 une plateforme d’échanges de terres rares située à Baotou qui pourrait changer la donne.
Un marché plus que stratégique
Pour comprendre comment la Chine a imposé son monopole, il faut observer le déroulement des évènements durant la fin du siècle dernier. Au début des années 1950, les terres rares sont principalement extraites de mines en Inde et au Brésil mais l’Afrique du Sud devient rapidement le premier producteur mondial. Ce n’est que dans les années 1960 que les pays occidentaux (Australie et États-Unis principalement) commencent à extraire les terres rares et dominent le marché, grâce notamment à la mine de Mountain Pass. La Chine produit peu de terres rares à cette époque mais elle prend la tête de la production mondiale à partir de 1988. Cette date marque le déclin de la production occidentale à cause des conséquences environnementales dues à l’extraction mais également à cause des prix très concurrentiels de la Chine. C’est ainsi que cette dernière s’est retrouvé au début des années 2000 en situation de quasi-monopole, objectif qu’elle s’était fixé depuis 1986.
Figure 3 : Evolution de la production mondiale de terres rares entre 1950 et 2010 (Source : USGS)
«Le Moyen-Orient a du pétrole, la Chine a des terres rares», Deng Xiaoping, secrétaire général du parti communiste chinois, en 1992
Sa demande intérieure en terres rares augmentant et afin de préserver ses réserves, la Chine décide de durcir ses quotas à l’exportation en 2006. Dès lors, elle n’a cessé de les abaisser de 5 à 10 % par an. A ce moment précis, la Chine s’est arrogé le pouvoir de négociation et de fixation des prix des terres rares. S’ensuit une période de développement très agressif de son industrie liée aux terres rares : baisse du nombre de licences d’exportation et durcissement des taxes à l’exportation pour faire augmenter les prix et favoriser la délocalisation des entreprises étrangères en Chine avec pour but final d’accélérer les transferts de technologies. Elle a également entamé une refonte complète de son appareil productif en constituant de véritables oligopoles publics et en s’assurant une expertise à tous les niveaux de la chaîne de valeur que ce soit au niveau des procédés de séparation en phase exploitation ou de la production industrielle (produits de haute technologie). Afin de préserver ses ressources (au rythme actuel, la Chine ne dispose que de 30 ans de réserve), elle fait la chasse aux mines illégales, fixe des quotas de production stricts et constitue des stocks stratégiques des quatre terres rares brutes les plus critiques.
Figure 4 : Evolution des prix de trois des oxydes de terres rares les plus critiques (Source : http://www.metal-pages.com)
Si le Japon a très tôt perçu le rôle stratégique des terres rares et a tenté de limiter sa dépendance aux approvisionnements chinois, les États-Unis et l’Union Européenne n’ont compris le danger que lors de la crise de l’automne 2010, où la Chine a cessé ses exportations de terres rares vers le Japon à cause du conflit territorial les opposant en mer de Chine. S’en est suivi une envolée des prix (le terbium a ainsi vu son prix multiplié par 9) qui a déclenché l’adoption de stratégies visant à sécuriser son approvisionnement ainsi qu’une plainte en juillet 2011 du Japon, des États-Unis et de l’Union Européenne auprès de l’OMC pour entraves à la concurrence. En 2015, soit près de 4 ans plus tard, la Chine mettait fin à ses quotas remplacés par un système de licences à l’exportation mais avait mis à profit ce temps pour développer encore davantage son industrie et son expertise dans le domaine.
Le Japon et les pays occidentaux ont structuré des programmes de recherche et mis en place des institutions (Critical Materials Institute aux États-Unis et ERA-MIN pour l’Europe) ayant pour mission de diversifier les sources d’approvisionnement, de recycler les terres rares et de développer des matériaux de substitution (Ford et Toyota ont par exemple réduit la part de dysprosium dans leur moteur).
En outre, plusieurs pays ont lancé des programmes de développement de leur industrie en terres rares, de l’exploration jusqu’à la fabrication de produits finis (États-Unis et Canada en particulier), et une cinquantaine de projets d’exploration et d’exploitation ont été lancés. L’Allemagne a ainsi participé au financement d’une minière junior, les États-Unis ont rouvert leur mine de Mountain Pass et de nombreux projets sont à l’étude au Canada. Néanmoins, selon un rapport du BRGM, seuls deux ou trois projets seront susceptibles d’aboutir à l’horizon 2020 et selon Bloomberg, seulement une vingtaine de sociétés sont aujourd’hui capables de produire des terres rares, à cause des coûts de production élevés et du peu d’investissement public. La faillite récente de Molycorp, à cause des prix très bas des terres rares sur le marché, ne vient qu’étayer cette thèse.
Figure 5 : Etat de la situation concernant le commerce de terres rares en 2014 (Source : USGS 2015, Canada Rare Earth)
Un contexte favorable aux terres rares
Actuellement, les prix des terres rares sont particulièrement bas et cela est en partie liée à la crise économique de l’Union Européenne et de la Chine. Néanmoins, les terres rares sont utilisées dans des secteurs hautement stratégiques au potentiel de croissance considérable. En effet, la défense et l’indépendance énergétique constituent des impératifs pour la souveraineté d’un pays. Et cela est d’autant plus vrai que la transition énergétique, avec l’avènement des technologies « vertes » (voitures électriques, éoliennes), est fortement consommatrice de ces terres rares. L’Allemagne a voté l’arrêt de ses centrales nucléaires à l’horizon 2020 et le développement de parcs d’éoliennes sera nécessaire afin de pallier ce déficit de production. Dans le même temps, la Chine a dévoilé son plan éolien que la production actuelle de terres rares ne suffirait même pas à mettre en œuvre. En outre, on assiste à une montée du nationalisme des ressources et une demande interne chinoise de plus en plus importante (elle représente seulement 40% du PIB contre 70% aux États-Unis, soit un potentiel conséquent). Tout cela laisse présager une augmentation continue de la demande au cours des prochaines années.
Figure 6 : Offre et demande pour les éléments de terres rares dits critiques (Source : Ressources naturelles Canada)
De nombreux programmes de recherche de produits de substitution existent mais il faudra entre 10 et 20 ans avant qu’ils ne soient mis sur le marché et c’est un pari hasardeux quand l’évolution du cours des terres rares est incertaine à long terme. Car le monopole chinois et la politique de bas prix ont dissuadé les compagnies occidentales de procéder à l’exploration de gisements potentiels alors que la ressource est abondante, ce qui laisse présager la découverte de nouveaux gisements, maintenant ainsi des prix bas.
En outre, la Chine a clairement exprimé son désir d’externaliser son approvisionnement, ne souhaitant plus « assumer les coûts écologiques liés à l’extraction des terres rares ». Cette décision est également motivée par la préservation de réserves stratégiques et pourrait propulser les cours vers le haut si elle décidait de baisser sa production.
La Chine conserve pour l’instant une indéniable expertise sur la chaîne de valorisation des terres rares. Pour les pays consommateurs, trois stratégies possibles se dessinent : diversifier ses fournisseurs, réduire la consommation et favoriser le recyclage. Au rythme effréné actuel de la consommation, au vu des plans de développement de la production énergétique « propre » et du fait que le recyclage est trop peu efficient, la demande va dépasser largement l’offre, provoquant une hausse certaine des prix à court terme. La solution réside dans le développement et la recherche de procédés plus efficaces mais également par la constitution d’une véritable filière des terres rares. Néanmoins, si aucune technique d’extraction plus respectueuse de l’environnement n’est développée, les Etats seront-ils prêts à ouvrir des mines dont l’exploitation causera des problèmes environnementaux et de santé publique, permettant certes de réguler les prix et d’approvisionner leur industrie de haute-technologie ? S’il est probable que les prix vont grimper à court terme, l’avenir reste incertain quant à l’évolution sur le long terme. Dans tous les cas, les terres rares constituent une ressource stratégique dont il est important de suivre l’évolution.
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